Lettre du Général Lepage, père du Maître Principal Loïc Lepage, Commando Marine du Commando Trépel mort au combat en Afghanistan le 6 mars dernier.
"Nos Amis Américains.
Ce que j’écris ici rapidement est le fruit d’un constat et de quelques réflexions « en cascade » ! Je ne voudrais me laisser entraîner ni par la passion ou le chagrin ni par un manque d’objectivité. Je vais essayer d’éviter cet écueil en me tenant à des faits précis, mais en élargissant ma réflexion à partir de ceux-ci.
Je ne veux pas non plus me livrer à une quelconque comparaison entre la façon dont nos amis français ou américains ont tenu à nous manifester, chacun à leur manière, amitié, soutien, sympathie dans le drame qui a frappé notre famille. Tous ont été remarquables et ces manifestations furent exceptionnelles de part et d’autre.
Non, ce n’est pas là que se situe la question.
Je veux simplement dire que les autorités Américaines, civiles ou militaires, appréhendent la mort d’un soldat, notamment d’un pays allié, de la plus noble façon qui soit. Elles savent rendre hommage à son sacrifice et lui donnent un sens.
Les Américains savent faire la différence entre un héros, un homme brave, et les autres. Je doute que nous sachions faire très exactement la même chose en France. Il suffit pour s’en convaincre de constater que les morts « en service » sont bien souvent honorés chez nous sur une base unique, quelles que soient les circonstances ayant entraîné le décès…
Mais les guerriers, unis par la fraternité qui leur est propre, ne se laissent pas tromper !
Dans le cadre de ce qui précède, voici quelques unes des manifestations de respect et d’amitié (Aude, la veuve de Loïc et leurs enfants étant toujours étroitement associés) dont les autorités américaines ont tenu à saluer la mort de Loïc :
- Loïc fait tout d’abord l’objet immédiat d’une proposition d’attribution de la Bronze Star Medal, with « V » device for Valor
- Son départ du sol Afghan le 7 mars 2006, est salué par mille hommes des forces alliées formant une haie d’honneur, sous la pluie et de nuit, jusqu’à l’avion qui le ramène en France,
- Un drapeau américain flotte sur Kaboul en son honneur le 8 mars. Il me sera adressé avec une lettre magnifique du général US commandant l’opération Enduring Freedom.
- L’épouse de ce même général (habitant Hawaï), nous adressera deux correspondances à la hauteur de la profondeur des écrits de son mari. Elle joint à notre intention un splendide CD de musique classique réalisé par une de ses amies pour apaiser notre peine. Je dois avouer que cette musique a quelque chose d’effectivement « céleste ».
- Le SACEUR en personne, le général J. JONES, adresse des lettres très fortes à notre famille.
- Le 17 avril, frappé par la mort au combat de Loïc, le général SULLIVAN, ancien CEMA US, écrit un remarquable article de fond : "Pourquoi il faut promouvoir le retour du courage et de l'esprit de sacrifice ».
Je lui écris pour le remercier et le féliciter après avoir communiqué le texte à la Ministre de la Défense avec quelques « recommandations » personnelles...
- En Afghanistan, les Américains inscrivent le nom de Loïc sur le mémorial des Forces Spéciales du CJSOTF (Etat major combiné des Forces Spéciales sur place)
- En octobre 2006, je suis informé que le Président des Etats-Unis a décerné à Loïc à titre posthume et pour acte de bravoure la Bronze Star Medal, with « V » device for Valor.
« C’est lors de la Seconde Guerre mondiale que le Président Franklin Roosevelt approuve la création de la Bronze Star Medal. Cette médaille est décernée aux militaires pour actes de mérite ou d’héroïsme lors de combats contre l’ennemi. La lettre « V» ou « Valeur » signifie que cette décoration est attribuée pour acte de bravoure au combat. Parmi ceux qui ont reçu cette médaille, beaucoup ont trouvé la mort lors des combats qui justifient leur distinction. Le Maître principal Le Page en fait partie. ».
- Le 8 novembre 2006, une cérémonie est organisée par les Américains dans leur ambassade à Paris en présence de hautes autorités civiles et militaires.
Je note que :
- l’ambassadeur en personne a tenu à recevoir ma famille pendant trente minutes avant la cérémonie,
- le SACEUR, le Général JONES, qui devait y assister mais, mis dans l’obligation d’annuler au dernier moment, a écrit deux lettres personnelles dont l’une (remarquable encore une fois) fût lue en publique,
- le Général Kearney, commandant des Opérations Spéciales du CENTCOM avait fait tout exprès le déplacement de Tampa en Floride pour remettre lui-même cette décoration à Aude, la femme de Loïc.
Cette cérémonie fût sobre, émouvante, empreinte de recueillement mais le cérémonial fût à la hauteur : précision, rigueur et panache !
L’émotion fût intense quand l’assistance se leva pour écouter le texte de la citation motivant l’attribution de cette médaille à Loïc (la quatrième plus haute distinction militaire américaine).
L’ambassadeur a remis également un drapeau américain à Aude.
Voici un extrait de son propos :
« Il y a seulement trois semaines, les Etats-Unis et la France commémoraient le 225e anniversaire de la victoire de Yorktown, qui a uni, pour toujours, nos deux nations par le courage, la détermination, le sacrifice et la notion de liberté. Chaque fois que ces valeurs ont été remises en question, nous avons fait bloc. Des générations successives de soldats, de marins et d’aviateurs américains et français ont fait honneur à cet héritage le plus précieux et l’ont défendu au péril de leur vie.
C’est avec reconnaissance que nous nous souvenons que le Maître principal Le Page était à nos côtés dans la lutte contre la menace terroriste et contre la montée de l’intolérance. Nous exprimons toute notre gratitude pour son abnégation aussi totale que celle dont ont fait preuve ceux tombés au combat avant lui, ainsi que pour son entier dévouement à notre cause commune.
En témoignage des sentiments d’admiration du peuple des Etats-Unis d’Amérique envers le Maître principal Le Page, je voudrais remettre à Madame Aude Le Page ce drapeau américain, qui a été hissé et baissé sur l’Ambassade des Etats-Unis.
Comme l’a écrit un poète américain, « un esprit fin, en voyant le drapeau d’une Nation, ne voit pas seulement le drapeau, mais la Nation elle-même ». Au nom d’une nation reconnaissante, je vous prie de bien vouloir accepter ce drapeau comme symbole de notre gratitude pour les services rendus par votre mari. »
Tout est dit et… de si belle façon ! Nos amis américains ont été une nouvelle fois « à la hauteur » et je leur en suis infiniment reconnaissant. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de m’exprimer en ce sens à la fin de la cérémonie.
La mort d’un soldat sur sa terre natale est sans ambiguïté. Le combat continuera après lui jusqu’à ce que l’ennemi soit repoussé hors des frontières. Mais pour tous les autres, ceux qui se sont fait tuer et continuent à se faire tuer hors de France, au nom de grandes idées, la Paix, la Liberté, la Démocratie, etc… la notion même de sacrifice est plus difficile à appréhender et à admettre.
Le combat n’est en effet jamais fini pour ceux-là puisqu’il ne s’agit pas de défendre un espace géographique mais un ensemble d’idées et de valeurs qui fondent notre société occidentale et qui doivent donc perdurer.
Renoncer à les défendre alors que nous sommes au milieu du gué me fait penser à l’attitude regrettable de certains pays au moment des accords de Munich en 1938 : la paix à tout prix, même celui de la lâcheté (le retrait récent des contingents espagnol et italien d’Irak me parait aller dans ce sens).
La lutte contre le terrorisme doit se poursuivre et je trouve profondément choquant d’abandonner nos alliés et de faire ainsi bien peu de cas des pertes que nous avons eu à déplorer en Afghanistan depuis le début de notre engagement aux côtés des forces spéciales US. A quoi donc aurait servi le sacrifice de Loïc et de tous ces jeunes hommes ?
Je termine ces réflexions libres et en cascade, en regrettant (mais je ne suis pas le seul en ce moment) que notre pays ne sache pas célébrer ses héros, comme le font si bien les Américains.
La France honore ses « victimes » et se repent. Elle n’a plus le culte du grand et du solennel. On revient sans cesse sur les « atrocités » de notre « affreux » passé colonial, l’esclavage dont nous serions seuls responsables, les guerres de libération et d’indépendance etc. etc.
Les films récents, produits et mis en scène par notre intelligentsia de gauche bien pensante, vont malheureusement tous dans ce sens et conditionnent intellectuellement ceux qui ne demandent déjà qu’à être convaincus et les autres, ceux dont le niveau de connaissances ne prête pas manier l’esprit critique.
Les Américains, même s’ils n’hésitent pas à sortir des films forts qui peuvent leur faire très mal, ne se complaisent pas dans ce genre unique.
Ils savent, mieux que tout autre, célébrer le courage et la bravoure, l’amitié et la camaraderie au combat, la grandeur de l’Amérique et de son peuple !
Ils sont fiers d’être Américains comme je suis fier d’être Français."
Réflexions personnelles
Agde 16 novembre 2006
Maurice LE PAGE